mardi 9 décembre 2008

Hiatus et pataquès

Lucie, tu es la plus jolie
Tu as des amis et moi-z-aussi
(Marcel Lehon)
De plus en plus souvent, nous constatons chez nos jeunes apprenants que les liaisons ne sont pas faites correctement. Il semble par exemple que la liaison dans "ils ont" ou "elles ont" a tendance à disparaître lorsqu'un texte est donné à lire, quand les "ceux qui-z-ont" fleurissent dans la langue parlée. Est-ce une réaction au classicisme de la langue qui fait que les hiatus et les pataquès sont recherchés exactement lorsqu'il ne le faut pas ?
Nous n'avons pas de réponse à cette question, et plutôt que d'en chercher une, nous allons tendre la main en direction de tous ceux qui zéprouvent de telles difficultés.
Pour commencer en douceur, nous ne proposerons pour l'instant qu'une réforme de la conjugaison qui mettra tout le monde d'accord et évitera bien des confusions : afin que l'usage de la liaison devienne systématique devant les verbes commençant par une voyelle, il suffira simplement de faire en sorte que les verbes conjugués ne commencent plus jamais par une voyelle. Nous ajouterons donc la consonne z (par analogie avec le pluriel) lorsque le verbe est conjugué dans une phrase affirmative, et la consonne n dans une phrase négative.

Par exemple avec le verbe avoir :
Je zai, tu zas, il za, nous zavons, vous zavez, ils zont (mode affirmatif)
Je nai, tu nas, il na, nous navons, vous navez, il nont (mode négatif)

(Vous zaurez sans doute noté au passage que cette réforme permettra également de retarder la disparition inquiétante de la négation ne au profit du seul pas, voire même d'inverser ce processus et faire réapparaître les bons vieux adverbes point ou guère)

Il y zaura certainement des protestations au début, des "comment zosez-vous toucher tainsi à notre patrimoine ?", des "non ! nous nécouterons pas vos réformailles ! nous zouïrons uniquement ce qui nous zentend !". Mais cela passera, et bientôt ce ne sera plus que "Gertrud, je te zaime ! Tu me zapportes la joie ! Tu me zenseignes la vérité ! Je zentrevoie enfin la lumière !".
D'accord, je zéxagère peut-être un petit peu, mais je zai la certitude, mes zamis, que la direction est la bonne.

dimanche 9 novembre 2008

Temps du déjà-écrit

Au détour d'un chapitre de l'excellent petit livre intitulé Demain est écrit, Pierre Bayard propose la création de deux nouveaux temps grammaticaux pour rendre compte d'un curieux phénomène de contorsion du temps que l'on peut déceler dans les œuvres de plusieurs écrivains, le destin de ceux-ci ayant en effet été écrit par anticipation dans leurs œuvres mêmes. A vrai dire je ne comprends rien à la "logique" de Bayard, mais il s'agit sans aucun doute d'une proposition intéressante sur laquelle il avait conviendra de se pencher :

Le passé à venir insiste sur la dimension passée de ce qui va survenir. Il serait donc logique, en prenant l’exemple du verbe aimer, de le faire débuter par un auxiliaire au passé et de le terminer par un futur. Ainsi pourrions-nous dire J’avais aimerai pour désigner le plus précisément possible ce qui, dans les événements qui se produiront demain, s’est déjà psychiquement effectué et ne relève donc pas de l’avenir. Car ce n’est pas un futur que désigne le passé à venir, mais quelque chose qui, pour appartenir aux deux dimensions chronologiquement opposées, est irrepérable dans le temps.
A l’inverse, le futur advenu insiste sur la dimension psychologique future de ce qui s’est produit. Il pourrait donc, suivant la même logique, se composer d’un auxiliaire au futur suivi d’un verbe au passé. Ainsi pourrions-nous dire : j’aurai aimais pour décrire ce qui, dans les événements qui se sont passés hier, pour s’être enfin produit, va demain advenir, c’est-à-dire devenir pleinement nôtre.
Des formes grammaticales certes étranges et auxquelles nous ne sommes pas encore accoutumés, mais qui montrent bien, précisément par la difficulté à les formuler et à les utiliser, combien nous sommes dépendants, dans notre représentation de nous-mêmes, de schémas temporels classiques, dont les catégories scolaires nous empêchent de nous évader.

vendredi 17 octobre 2008

Mots de Babel, croisés.

Dans mon précédent article, je proposais une réforme de l'orthographe fondée sur d'irréfutables résultats de recherche en sciences cognitives. Cette réforme me paraissait pleine de bon sens et de logique, en plus d'être à la pointe de la modernité didactique. C'est alors que Paul, notre ami, tout simplement, souleva une objection que, de mes hauteurs noétiques, je n'avais pas aperçue : que deviendront, demandait-il, les concepteurs de mots croisés ? Une telle réforme ne menacerait-elle pas leur emploi, pierre d'assise de notre économie, elle-même déjà mise en péril par la récession mondiale ? Assailli par une si légitime inquiétude, je fus d'abord pris de vertiges, puis de douloureux maux de ventre. Paul m'avait ramené à un domaine que nous autres savants et inventeurs géniaux ignorons trop fréquemment : l'éthique. Emportés par notre élan créateur, nous mettons au point la fission nucléaire ou l'embryogénèse, sans songer un seul instant qu'un jour, par notre faute, la Wallonie sera désintégrée, et Raël cloné.

Cependant, après moult réflexion, il m'apparut que l'orthographe de Babel, loin de torpiller l'industrie des mots croisés, représentait au contraire une chance de salut pour ce secteur rendu moribond par l'apparition du Sudoku. Car le jeu des mots croisés, comme l'orthographe, voyez-vous, doit être réformé, modernisé, updaté. Ses concepteurs doivent diversifier leur activité, se mettre à la page, en s'aidant des quelques règles innovantes que je vous propose maintenant.

Tout d'abord, il est évident que la création d'une grille ne pose pas beaucoup plus de difficultés lorsqu'on change l'ordre des lettres à l'intérieur des mots. De ce point de vue le mot n'est jamais qu'une succession de lettres, nul besoin de concordance avec la langue que nous parlons. Le problème se pose surtout pour le cruciverbiste qui doit reconstituer cette grille à partir des définitions qui lui sont données. A première vue, étant donné le très grand nombre de combinaisons orthographiques auxquelles un seul mot peut donner lieu, on aurait tendance à penser que la tâche est impossible. Pourtant ce n'est pas le cas : il s'avère simplement qu'au sein du premier jeu - trouver les mots qui correspondent aux définitions - naît un second jeu - retrouver l'ordre des lettres à l'intérieur des mots. La difficulté n'est donc pas infinie, elle est seulement redoublée.

Mais plutôt que de nous attarder sur la théorie du jeu, je vous propose un exemple simple avec une grille 5x5 :


Horizontalement :
A. Un hippopotame n'en est pas une.
B. Sous les aisselles, pour le dobitchu.
C. Assassina.
D. Verbe de mouvement.
E. Traces.
Verticalement :
1. Salée ou sucrée.
2. Faire l'éloge.
3. Au prisonnier.
4. Or. - Lawrencium.
5. Personnes.



Voici la méthode à suivre pour résoudre une telle grille : comme dans les mots croisés classiques, il faut bien-sûr d'abord trouver les mots les plus évidents. Puis placer la première et la dernière lettre de ceux-ci dans la grille (puisque, je le rappelle, la première et dernière lettre doivent rester à leur place). Mettre les mots de deux et trois lettres, dont l'orthographe est immuable. Enfin, pour placer les lettres "mobiles", il faut repérer les lettres communes aux mots qui se croisent. La grille se remplit d'elle-même et l'on finit par trouver les mots qu'on avait laissé de côté lors de la première étape. Vous remarquerez que la gymnastique mentale mise en œuvre dans la deuxième phase ressemble assez à celle du sudoku. Mais la plus-value culturelle ne rend-elle pas ce jeu beaucoup plus intéressant que toutes les absurdes chinoiseries venues du pays du Soleil Levant ?

Bien-sûr les choses se compliqueraient sensiblement avec des grilles plus grandes, mais il me semble, même si je ne suis pas du tout un spécialiste des mots croisés, que cela ne serait pas insurmontable. Il faudrait sans doute proposer des définitions moins cryptiques que celles des mots croisés classiques afin de ne pas rendre la tâche trop ardue. On pourrait aussi imaginer une variante plus facile dans laquelle les mots seraient donnés directement, il ne resterait qu'à trouver les bonnes combinaisons. Mais pour toutes les mises au point, je suis partisan de laisser faire les spécialistes. Je suis certain que la direction que j'ai modestement proposée remettra la finance occidentale à flot (l'écriture, dans le reste du monde, ne ressemble à rien de rationnel, avouons-le. Quant aux sino-nippons, les fols, ils n'ont même pas d'alphabet, et c'est bien pour cela qu'ils en sont réduits à croiser des chiffres).

Alors, concepteurs et cruciverbistes, à vos plumes ! Redonnez promptement à la France ses lettres de noblesse !


Solution de la grille pour les fainéants (cliquez)

samedi 4 octobre 2008

L'orthographe de Babel

J'etndens que l'on s'ignidne dnas les ccelres lairértties et poédaggquies : Le Peitt Reobrt, dnas sa nellouve vsioern, posproerait, puor six mllie mots, duex orophgrathes pbssloies.
A mon hbumle aivs, il est pitefaarment rucdiile de psouser des cris d'oraifres pour si peu, et de cmenomcer à bâmler nos sèysmtes docémquraties dans lequsels chuacn peut firae ce qu'il vuet, et où tuot se vaut, et bla et bla... Où va le mdone ma bnone dmae ?
Pour ma prat, je sius paitasrn dpuies lontmpegs d'une oroghartphe rativelement lribe, à cdiontion de lisaser la prmèiere et la diernère lttere de cqhaue mot à luer plcae.
Une éutde de l'uenrsiivté de Cmadgbrie aavit en eefft mntoré que dnas la mursee où le ceverau haiumn laiist les mots cmome un tout, l'odrre des letrtes à l'iértineur du mot n'avait pas d'iormanptce. Et qui smomes-nuos pour trnouer le dos à la snciece ?
Asini ce n'est pas deux ororagthphes qui snot pibossles puor chaque mot, mias (n-2)!, avec n le nmbore de lrtetes du mot (le pnoit d'elamtxcaion dégnsie ici la ftioncon de foractielle).
Clea dnone, pour un mot de six lerttes par emxeple : (6-2)! = 4! = 4x3x2x1 = 24 oogaphrrthes psiosbles, et libisles !
Puor un mot de duzoe leretts, nous aruons donc 3 628 800 orrptghahoes psblioses.
Pour le mot le puls lnog de la luange fançairse cranoute, amtiennientulltionncoestt, il y a eirnvon 2,6 x 10 puissance 22 cbinaisomons orograthiqhpues.
Vuos vyoez bien, Mesieusrs, que vous êtes rdilicues de vous érvneer prcae qu'on vous pporose de coishir ernte duex orogrphathes. Vtroe bvrae Piett Reobrt ne sreait mmêe pas asesz gors cenontir tuotes les viaartions ableptacces d'un seul mot de ozne ltetres !


N.B. : Vous aurez remarqué que cet article, qui développe pourtant des éléments d'analyse combinatoire, se lit beaucoup plus facilement qu'un sms, ce qui montre bien la supériorité de l'esprit humain sur celui du jeune. De plus, en écrivant de cette façon, vous ferez obstacle à l'hégemonie de gogole : ses petits robots seront bien incapables de référencer le contenu de vos blogues et s'en repartiront tout penauds !

mardi 30 septembre 2008

Les prépositions du Kama-sutra

Les prépositions introduisent un complément. C’est du moins ainsi, platement et rationnellement, qu’elles sont présentées dans les manuels scolaires de France et du Narbonnais. Et de nous servir l’éternelle mnémotechnie de l’adolescent fuguant précipitamment vers une province du royaume de Belgique : à, dans, par, pour, en, vers, avec, de, sans, sous. Qui s’amuse à ces galéjades ? Avec cela, on laisse des générations d’écoliers se disperser dans la nature en croyant que les prépositions sont seulement au nombre de dix. Ces pauvres petits sont alors totalement perdus dans leur vie quotidienne. Lorsque vous leur indiquez par exemple que leur soupe est sur la table, ils ouvrent une mâchoire bovine et tentent de planter leur cuiller dans l’air sous la table. N’est-ce pas un crime de réduire ainsi le vocabulaire de nos charmantes petites têtes blondes ? Ne voyez-vous pas, de plus, les dégâts que nous causons chez les adultes à venir, en bridant ainsi leur imagination ? Peut-on expérimenter la joie et un bonheur durable si l’on ne connaît que dix prépositions, que l’on ne parvient même pas à en concevoir d’autres ? Je vous le demande un peu.

Heureusement, les Indiens du Continent Asiatique, dans leur orientale sagesse, envisagent la chose d’une tout autre manière, propre à nous apporter l’illumination souhaitée : pour eux, l’important avec les prépositions n’est pas tant qu’elles introduisent un complément, mais plutôt comment elles l’introduisent. Ils n’hésitent jamais à varier les possibilités et ne se sentent limités que par leur fantaisie. Les prépositions peuvent ainsi servir à introduire le complément en se plaçant devant, à la façon « habituelle », mais aussi derrière, contre, hors de, entre, à côté de, en deçà de, touchant, au-dedans de, à l’entour de, au-dessus de, à l’insu de (celle-ci se nomme aussi "la belle endormie"), en dépit de, en sus de, outre, à travers, durant, au lieu de, sur, etc.

Certes, il en résulte une syntaxe parfois alambiquée, pour ne pas dire acrobatique, mais avouons qu’avec de tels procédés nos écoliers enrichiront rapidement leur lexique de prépositions et seront même avides d’en découvrir d’autres ! Vous les verrez inventer de nouveaux moyens mnémotechniques absolument hilarants tels que :

à, dans, entre, par, derrière, à défaut de, devant, de peur de, sans, sur.

Alors qu’attendons-nous, chers concitoyens, pour appliquer ces leçons hindoues et développer toutes les potentialités de notre belle langue française ? Allons-nous rester à la traîne d’un peuple qui se laisse envahir par des macaques ?

lundi 29 septembre 2008

L'article de la mort

Vous connaissiez, sans doute, les articles définis, indéfinis et partitifs. Mais vos chers Instituteurs ont-ils mentionné, au cours de vos études en classes de neuvième et de huitième, l'existence de l'article de la mort ? Non, n'est-ce pas ? Il me semblait bien. Et pourtant celui-ci est inscrit dans les programmes d'enseignement de l'Ecole Laïque et Républicaine au même titre que ceux-là. Malheureusement bien des Instituteurs hésitent encore à en parler, pensant à tort que la seule mention de la mort pourrait engendrer des traumas irréparables dans la psyché de jeunes apprenants. Rien de plus faux, Messieurs ! Si vous ne me croyez pas, présentez un oisillon écrasé ou un chat étranglé au plus petit et au plus innocent d'entre eux et voyez ses yeux s'illuminer de joie lorsque vous lui donnerez la permission de jouer avec. Point d'inquiétude, par conséquent : l'article de la mort n'est pas un sujet tabou pour poète maudit ! Qu'on se le dise.

Alors, qu'est-ce que c'est ?

Il s'agit tout simplement d'un article qui, contrairement à ses petits camarades, ne se place jamais devant un nom. On ne le trouve, à l’écrit, que devant un signe de ponctuation, variable selon le type de mort qui vous saisit au moment où vous alliez achever votre phrase.

Exemples :

Chérie, passe-moi le ! (crise cardiaque)
Chérie, passe-moi le ? (Autobus lancé à pleine vitesse)
Chérie passe-moi le. (Seppuku)

Quand l’utiliser ?

Au moment de mourir, ou lorsqu’on est sur le point de révéler un secret dans un film américain.

Le saviez-vous ?

Par extension, c’est de cette règle grammaticale que dérive l’expression « être à l’article de la mort ». Etonnant, non ?

Remarque importante :

Concernant la morphologie de l’article de la mort, il faut absolument noter qu'elle n’est pas la…

dimanche 28 septembre 2008

Proposition de simplification des conjugaisons

Pour la première note de ce blog consacré à l'essai de règles de grammaire alternatives, je propose d'aller dans le sens de la simplification. Il n'aura échappé à personne que les conjugaisons du français sont terriblement difficiles : les temps inusités, le troisième groupe de verbes sans caractéristiques communes, les exceptions infinies... la maîtrise des conjugaisons en devient quasi impossible pour le commun des mortels. Quant à nos jeunes et à nos étrangers, ils se sentent tenus à l'écart de ce savoir primordial, snobés pour ainsi dire, et cela constitue certainement un facteur de trouble social qui pourrait, si le problème n'était pas traité à temps, provoquer des émeutes dans les cités (il y en a eu pour moins que ça), voire une guerre civile, ou peut-être même une nouvelle Révolution. C'est donc dans l'urgence - personne ne veut voir les immortelles têtes des Académiciens rouler sur les pavés de la place de Grève - que j'écris cette proposition, que le lecteur éventuel n'hésite pas à suggérer des améliorations.

La nouvelle conjugaison que nous imaginons ne retiendrait qu'une seule forme verbale par temps (un peu comme en anglais, mais là nous battrions les rosbifs à plate couture, ce qui serait excellent pour la cohésion sociale et le renouveau du patriotisme !). Pour des raisons d'élégance sonore je garderais la forme de la première personne du pluriel.

Cela donnerait par exemple, pour le verbe avoir au présent de l'indicatif:

J'avons, tu avons, il avons, nous avons, vous avons, ils avons

Ou au subjonctif imparfait du verbe être :

Que je fussions, que tu fussions, qu'il fussions, que nous fussions, qu'ils fussions

Vous comprenons le principe, j'avons point besoin d'en dire plus. Je sommes sûr que tout le monde accueillerons ce salutaire changement dans la liesse et la chorée.

Sinon, revenons dans quelques jours, je publierons bientôt un nouvel article capital.